Cap ? ou pas Cap ?
A l’origine, aller contourner le Cap Horn avec IKESSO n’était pas dans mon plan. J’ai trop de respect pour les véritables cap-horniers, ceux qui ont affronté les Océans Pacifique et Atlantique avant de le franchir ou après, pour faire juste un petit tour devant LE Cap. Ce mythe des navigateurs…
Mais Eric, le skipper de VAIHERE, m’a presque convaincu en me donnant des conseils de route et d’escales. Et Finn, qui lui est un véritable Cap-Hornier depuis qu’il l’a doublé en course lors de la Whitbread 81-82 sur KRITER, m’a poussé encore un peu en disant qu’il voulait y retourner et prendre le temps, ce qui m’a décidé… Donc : Cap !
Et nous voilà demandant un ZARPE à la Capitania de Puerto Williams pour faire le tour du Cabo de Hornos !
La météo nous invite à prendre notre temps pour faire ce tour, et donc découvrir des escales, car les épisodes de vent fort et/ ou contraire vont se succéder, et compliquer un peu notre descente vers l’extrémité sud de ce chapelet d’îles rocheuses et désertiques.
1 ère étape mardi : et enfin nous refaisons de la navigation à voile (la grand-voile n’ayant pas été hissée depuis le 28 novembre…) et Finn nous enseigne le fameux Butterfly (voiles en ciseau sous tangon avec bras et poulie ouvrante…)! Ce soir c’est Puerto Toro, le village le plus Sud du monde ; En cette saison où la pêche aux Centolla est fermée, il n’y a personne, et nous sommes tranquilles au ponton en bois, accueillis par un membre de l’Armada. C’est un tout petit village avec quand même une minuscule école pour les quelques enfants des familles, principalement de l’Armada, qui habitent ici.
Le lendemain c’est Caleta Lenox Norte, sur l’île Lenox, pour optimiser l’abri, et le jour d’après nous déplaçons IKESSO d1,5NM vers Caleta Lenox Sur, face au poste de l’Armada, pour bien nous abriter du coup de vent d’Ouest qui va souffler dans l’après-midi. Jusque vers 15h00, c’est une magnifique journée d’été… L’ancre bien accrochée, nous aurons 45 nœuds dans les rafales à 18h00 et le bateau s’agîte pendant 3 heures au bout de sa chaîne… Le matin, nous sommes allés offrir une bouteille de vin de Bordeaux et une boîte de Gavottes au militaire en poste de l’Armada, qui vient d’être affecté sur l’île avec sa famille pour 1 an, ils sont arrivés il y a 4 jours seulement… Nous n’avons le droit de débarquer que sur la plage, sur une zone assez limitée… la plage est jonchée de coquillages et faite de tout petits galets noirs, mais également encombrée de débris de filets de pêche (principalement) et d’autres épaves (cordages, chaussures, ciré, canettes…). Nous récupérons un beau pare-battage rond rouge quasi neuf ! Le cadre est idyllique aujourd’hui dans cette petite baie, mais ce ne sera pas toujours comme ça chaque jour de l’année 2025 ! Bon courage à cette petite famille qui y vivra isolée, ravitaillée 2 fois par mois…
Vendredi, nous descendons la Bahia Nassau sur 30 NM pour rejoindre la Caleta Martial, en passant par le canal Bravo qui coupe l’archipel Wollaston. IKESSO se dégourdit les jambes dans le vent de W-SW qui souffle. Finn apprécie de barrer ! Au fond de la Caleta Martial une belle plage de sable jaune-ocre (très rare ici), qui sera idéale pour faire un feu et cuire des patates sous la cendre, samedi soir après le tour du Cap Horn !
Cap’ ou pas cap’ ? eh oui, Finn ne manque pas de ressource et se met à l’eau en combinaison pour nettoyer la coque pendant 45 minutes. Des algues, mais surtout de petits coquillages, ont profité des 8 mois depuis qu’IKESSO est à l’eau pour s’agglutiner sur la coque, ralentissant ses performances… L’eau de Caleta Martial est à 10 degrés et la douche chaude sera appréciée. Ce Finn a le sang froid, c’est un vrai Viking !
Enfin samedi, après une nuit où le vent (modéré) ayant fait le tour du quadrant, IKESSO a tourné en suivant, et nous a envoyé l’alarme de mouillage 3 fois en nous réveillant… Déjà que je dors assez mal, ce n’est rien pour arranger ma récupération…
Le Cap Horn est à 20NM. A 7h00, nous partons pour tirer des bords, par un bon vent de WNW quand même perturbé par toutes ces îles et ces canaux, mais la mer est plate, et sous GV à 1 ris et foc déroulé, nous contournons par l’Ouest l’Isla Herschel, laissons l’Ila Hall à bâbord, et filons à 7-8 nœuds au grand largue vers le Sud, contemplant l’Isla Hornos qui approche dans la majesté de ses immenses falaises où une végétation ténue s’accroche. Nous descendons jusqu’à franchir le 56ème parallèle Sud, soit environ 3NM au Sud du Cap Horn et nous empannons vers l’Est, pour longer et admirer cet ilot mythique sous un beau soleil, pensant à tous ceux qui ont eu tant de mal à le contourner avec ces bateaux si peu manoeuvrant des XVI-XVII-XVIII et XIX ème siècles.
Nous débouchons la dernière bouteille de champagne, en donnons une bonne lampée à Neptune, et trinquons avec de grands sourires à cette magnifique navigation du jour qui nous a amenés sur ce lieu tellement chargé d’histoire!
Après un échange à la VHF avec l’Armada en poste (Altamar Hornos), lequel nous souhaite avec beaucoup d’enthousiasme la bienvenue à Cabo de Hornos, nous virons plein Nord pour rejoindre le Paso Mar del Sur, puis la Caleta Martial qui se trouve à 11NM. L’eau est plate, à peine un peu de houle, le vent souffle à 15-22 nœuds, et IKESSO taille allègrement sa route au près serré, heureux comme son équipage !
Ce soir ce sera un feu sur la plage et des patates cuites sous la cendre. Finn et Patrick s’en occupent activement, mais la cendre ça prend du temps… alors cap’ ou pas cap’ ? Et voilà nos 2 équipiers nus comme des sauvages qui se jettent dans l’eau glacée, sous le regard imperturbable des cormorans et des sternes, qui se demandent d’où viennent ces 2 espèces de phoques blancs !!! Lesquels se rôtissent devant derrière à côté du feu !!! Quand je pense que Patrick ne se baigne jamais, je n’en reviens pas quand j’apprends ça. Finn est convaincant.
Dimanche, une longue navigation de 55NM nous attends pour remonter jusqu’au Canal Beagle, le vent fait des siennes et nous alternons voile et moteur, finissant avec près de 25 nœuds au travers, affichant de belles pointes, pour rejoindre l’Isla Picton et une caleta très bien protégée, au pied de l’Alcamar Picton qui nous accueille à la VHF sur le canal Uno-Quatro (à dire très très vite!)..
Lundi matin, départ à l’aube à 5h pour éviter le vent d’Ouest qui va monter, et nous rejoignons au moteur (contre le courant) Puerto Williams, fin de notre boucle, à couple au Micalvi, juste derrière nos amis de CHAMALO!